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Jean-David Levitte
Diplomate et Ambassadeur de l’AMRAE
Dans quel cadre géopolitique évolue aujourd’hui le
risque politique ?
Après des décennies d’un «ordre mondial» bien établi,
d’abord bipolaire (1945-1989), puis unipolaire (1990-
2001), enfin multipolaire (2001-2013), nous sommes
entrés dans une période «a-polaire». Il n’y a plus de
pilote dans l’avion de notre monde globalisé. Les insti-
tutions internationales sont affaiblies, de grands pays
(Russie, Chine, Iran...) remettent en cause l’ordre établi
et les principes qui le fondaient. Nous sommes entrés
dans une période de ruptures, de chocs géopolitiques,
d’incertitudes stratégiques et de crises. Les entreprises
doivent pleinement intégrer cette nouvelle donne qui
s’ajoute aux risques traditionnels. Naviguer entre ces
écueils demande du doigté, mais d’abord une apprécia-
tion fine, à ajuster en permanence, des risques comme
des opportunités.
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Michel Dennery
Vice-président de FERMA
Comment une entreprise doit aujourd’hui appré-
hender le risque politique ?
L’entreprise doit, dans un premier temps, bien évaluer
l’instabilité ou l’aléa pays de façon intrinsèque, avec
l’aide d’organismes tels que la Coface, Maplecroft ou des
courtiers d’assurance. Diversifier les sources d’informa-
tion lui permettra ainsi d’avoir une bonne évaluation de
cet aléa. Mais tant que l’entreprise n’a pas d’activité dans
un pays dit «à risque», il n’y a pas de risque pour elle. Le
point clé dans cette approche opérationnelle sera donc
de bien qualifier la réalité de l’exposition de l’entreprise
dans un pays donné, qui peut se caractériser par la valeur
de ses actifs, l’EBITDA généré, la valeur du contrat, sans
oublier de prendre en compte le capital humain (salariés
expatriés, employés locaux).
L’entreprise doit se demander avant tout si son exposi-
tion dans un pays ou région donnée est acceptable ou
non, au regard de la rémunération attendue de cette
prise de risque. En termes de risque stratégique, il
s’agit de décider si l’on veut être partenaire de ce pays
et l’accompagner dans un développement économique
qui amènera de la stabilité politique, ce qui nécessite
un travail de veille permanent et prospectif.
Quel est le rôle du Risk Manager dans la gestion de ce
risque ?
Un Risk Manager travaille en lien avec, d’une part,
l’équipe positionnée dans le pays et, d’autre part, une
direction internationale qui a une vue géopolitique et
enfin avec une direction de la sûreté qui sera en rela-
tion directe avec le Ministère des Affaires étrangères
pour suivre l’évolution des situations à court terme.
Avec la crise Ukraine-Russie par exemple, toutes les
entreprises aujourd’hui ont créé une cellule de veille
et sont très attentives à la manière dont se déroulent
les négociations diplomatiques. Il est souhaitable que
le Risk Manager soit associé à ce travail de veille pour
collecter et analyser les différentes informations et
pour questionner ensuite l’entreprise en termes d’an-
ticipation, précaution, pré-organisation de gestion de
crise si besoin, voire réinterroger la stratégie par le
biais des risques stratégiques sur le développement
business à moyen terme. Le Risk Manager devra égale-
ment travailler avec la Direction juridique afin de s’as-
surer que l’entreprise est suffisamment bien couverte
contractuellement (insertion de clauses d’arbitrage
international par exemple).
La réponse du marché de l’assurance est-elle suffi-
sante ?
Cela dépend des régions et de la taille des entreprises.
Les assurances acceptent généralement un cumul
maximum en fonction des pays. Plus le pays est à risque
et plus ses capacités seront limitées. Une entreprise
qui aurait, par exemple, une petite activité localement,
pourra trouver une solution de couverture mais la
question sera de savoir à quel taux, en fonction de ses
calculs de rentabilité attendue.
Dans un contexte de réduction de la croissance mondiale
et d’une montée des tensions sociales, politiques et
géopolitiques, la situation doit être ré-analysée en
permanence et tout le monde doit progresser. Côté assu-
rance, on ne trouve pas encore aujourd’hui de capacité
sur des couvertures globales Monde pour l’ensemble
des activités d’un groupe, notamment lorsqu’il s’agit
d’« expropriation rampante » qui concerne générale-
ment les activités de services publics (énergie, eau,
déchets…) où les conditions contractuelles de départ
deviennent de plus en plus restrictives. Résultat : l’opé-
rateur étranger ne peut plus assurer une rémunération
raisonnable de son activité et la préférence va, de fait,
à un opérateur national.
Michel Dennery,
Vice-président de FERMA
Jean-David Levitte,
Diplomate et Ambassadeur
de l’AMRAE
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DE L’AMRAE
I N°3 I
JANVIER 2015
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MÉTIER RISK MANAGER