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déjà réalisé. Autrement dit, il suffit que le passé soit connu de l’un

ou de l’autre pour ne pas être assurable.

En ce qui concerne l’objet de la connaissance, le passé connu,

c’est comme le dit l’article L. 124-5 du Code des assurances, le

« fait dommageable» connu, celui-ci s’entendant, en vertu de

l’article L. 124-1-1 du même code, comme la «cause génératrice

du dommage». Connaître le passé, ce n’est donc pas seulement

connaître ce fait, c’est aussi connaître son rôle causal. Pour

revenir à notre affaire, les dirigeants indélicats ne savaient pas

seulement que les vins avaient été coupés (et pour cause : ils

étaient les auteurs des coupages), mais aussi qu’en se livrant

à ces pratiques, ils causeraient nécessairement un dommage à

leur société et, ultérieurement, à celle qui allait la reprendre.

Et leur argument selon lequel ils pensaient que ces pratiques

allaient perdurer après la fusion avec cette autre société était

évidemment fallacieux. Fatalement, parce qu’ils ne pouvaient

espérer rester éternellement à la tête de la filiale, les coupages

allaient être découverts et la valeur du stock de vin concerné

allait baisser. Le dommage était inéluctable. Il faut insister sur

ce caractère. La connaissance du passé ne suffit pas et d’ailleurs

ne présente guère d’intérêt : le passé est le passé, il faut savoir

tourner la page. C’est la connaissance des suites du passé qui est

essentielle, et de leur caractère inéluctable qui supprime l’incer-

titude ou, comme diraient les civilistes, l’aléa (voir la convention

inter-assureurs, dite «passé connu/passé inconnu : exposé des

motifs», § 3). Si les suites ne sont pas aléatoires et que l’on savait

donc que le dommage qui va être causé à des tiers est certain,

il n’y a plus de risque ou, à tout le moins, de risque assurable.

On observera que l’on n’est pas très loin de la notion de faute

intentionnelle, à cette différence près que dans celle-ci, le

dommage est nécessairement imputable à une faute de l’assuré,

alors que dans le passé connu, il peut ne pas avoir une origine

fautive (car il est des responsabilités purement objectives, sans

faute). En somme, le passé connu jouerait pour le passé le rôle

que la faute intentionnelle joue pour le présent. L’un comme

l’autre reposeraient sur la connaissance du caractère inéluc-

table des suites de l’acte. Et l’un comme l’autre seraient exclu-

sifs de garantie. Ce serait pleinement exact si l’on se faisait de

la faute intentionnelle une conception purement objective.

Mais on sait que la jurisprudence est sur ce point très hésitante,

continuant de faire une place à la conception classique de la

faute intentionnelle. Dans celle-ci, la connaissance n’a pas sa

place (comme, du même coup, la condition d’une absence d’aléa

entre le geste et ses suites). Elle est remplacée par l’intention,

c’est-à-dire par une volonté tournée vers un but : causer tel

dommage, ce qui suppose une adéquation entre le dommage

recherché et le dommage effectivement causé. L’imputabilité

matérielle est remplacée par une imputabilité morale. Dans

notre affaire, la victime cherchait à entraîner le juge sur ce

terrain-là en soutenant qu’en pratiquant des coupages de vin,

les dirigeants avaient cherché à s’enrichir et pas à causer un

dommage à des tiers, ce qui excluait qu’ils aient pu commettre

une faute intentionnelle. Sans prendre parti sur ce que cette

faute peut recouvrir, la Cour répond que la question est en

quelque sorte «hors sujet » car était en cause un problème de

passé connu. La morale de l’affaire est que si l’on progresse

dans la compréhension de ce passé, on continue de rester dans

le flou pour la notion de faute intentionnelle.

Mesdames et Messieurs les juges : faites un effort pour sortir

du flou ! 

ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DE L’AMRAE

I N°3 I

JANVIER 2015

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VEILLE ET POSITION