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n l’espèce, une maison de négoce en
Champagne, qui était couverte pour sa
responsabilité, celle de ses dirigeants et
des dirigeants de ses filiales présentes et à
venir, rachète une maison de Bourgogne,
les dirigeants de celle-ci demeurant en place.
Ultérieurement, il apparaît qu’ils se sont rendus
coupables, dès avant le rachat, de pratiques de
coupages de vin, ce qui diminue la valeur d’un
stock de bouteilles et, par ricochet, celle de la
filiale. La maison de champagne se prétendant
lésée en tant qu’actionnaire de sa filiale, souhaite
mettre en œuvre l’assurance des dirigeants indéli-
cats. L’assureur refuse sa garantie, motif pris d’un
passé connu et obtient finalement gain de cause,
le pourvoi de la victime étant rejeté par la Cour
de cassation. Mais qu’est-ce qu’un passé connu ?
En procédant à une dissociation qui n’est élémen-
taire qu’en apparence, on dira que c’est un risque
du passé et un risque connu.
UN RISQUE DU PASSÉ
Ce qui relève du passé est ce qui se situe avant le
présent. Mais avant quoi précisément ? On estime
généralement : avant la souscription du contrat.
Mais la solution est approximative, car valable
dans la seule hypothèse où le souscripteur, partie
au contrat, est en même temps l’assuré couvert
par celui-ci. Mais qu’en est-il quand ce sont deux
personnes différentes, ce qui est le cas de l’as-
surance pour compte ? En l’espèce, les pratiques
de coupage incriminées, qui étaient imputables
aux dirigeants de la future filiale et non à ceux
de la société mère qui avaient souscrit le contrat,
étaient, pour certaines d’entre elles, postérieures
à la conclusion de celui-ci. Mais elles étaient anté-
rieures à la date à laquelle leurs auteurs, par l’effet
de l’absorption de la société qu’ils dirigeaient,
sont devenus assurés. C’était bien là l’essentiel.
Au fond, ce qui compte est que le risque se réalise
alors que celui qui y est exposé n’est pas encore
assuré. Et c’est parfaitement logique dès lors que le
risque est aussi un péril, ce qui renvoie à la notion
d’exposition. Dater le risque implique de se référer
à celui qui y est exposé. En d’autres termes, le
risque du passé est un risque du passé de l’assuré.
UN RISQUE CONNU
S’intéresser à la connaissance conduit à sedemander
qui doit connaître et ce qu’il doit connaître.
En ce qui concerne l’identité du sachant, ce qui
vient d’être dit conduit naturellement à se tourner
vers l’assuré. Le risque connu est un risque dont
l’assuré connaissait la réalisation. C’est encore une
fois logique dès lors que le risque se définit par
référence à une incertitude. Celle-ci existe pour
tous quand l’événement se situe dans le futur car
personne, sauf Madame Soleil, ne peut prétendre
connaître l’avenir. Mais, dans le passé, elle ne
subsiste qu’en présence d’une ignorance. Et cette
ignorance s’apprécie en la personne de celui pour
qui l’événement est un risque, contre lequel il est
couvert par une assurance, et donc – là encore – en
la personne de l’assuré. On n’est assuré que pour
des risques, pas pour des certitudes. On ajoutera
qu’en cas de dissociation des qualités d’assuré
et de souscripteur, celui-ci doit aussi être dans
l’ignorance du sinistre. À défaut, toutes les fraudes
seraient possibles, le souscripteur pouvant, s’il
connaît l’assuré, vouloir lui rendre service en le
couvrant pour un risque que lui souscripteur sait
LA NOTION DE PASSÉ
CONNU À LA LUMIÈRE
D’UN ARRÊT RÉCENT
Le 11 septembre 2014, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui éclaire d’un jour nouveau la délicate
question du passé connu en assurances de responsabilité.
Luc Mayaux,
Professeur à l’Université
Jean-Moulin (Lyon III)
Ancien directeur de
l’Institut des assurances
de Lyon
Pour en savoir plus
Lire
la Revue générale
du droit des assurance
s 2014,
p. 521, note de Luc Mayaux
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DE L’AMRAE
I N°3 I
JANVIER 2015
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VEILLE ET POSITION