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DOSSIER

L'APPROCHE DU RISQUE DE 25 CEO

Si je vous dis «

risque

», quels sont les trois

premiers mots qui vous viennent à l'esprit ?

L'

Appétit

, l'

Audace

et la

Candeur

. L'appétit car,

pour moi, la prise de risque est quelque chose de

très positif : on prend des risques si on a envie,

si on a «faim» d'avancer. L'audace car j'aime

bien l'idée qu'il faut être différent, qu'il ne faut

pas se contenter de copier les autres, qu'il est

nécessaire de chercher des nouvelles voies. Et

la candeur car nous vivons dans un monde qui

se révèle de plus en plus «drivé» par la peur,

par la crainte d'échouer… Aussi, il me semble

que redonner de la force à la candeur, y compris

dans les entreprises, est une piste intéressante.

Le terme «candeur» revient beaucoup dans un

livre d'Edwin Catmull, co-fondateur et président

de Pixar, qui l'a érigée en tant que valeur au

sein de son entreprise. C'est en quelque sorte le

droit de dire ce que l'on pense. Je pense que si

la parole n'est pas libérée, il n'y a plus de prise

de risque possible.

Quel est le principal risque de votre entreprise

/ des entreprises aujourd'hui ? Et comment le

traitez-vous ?

Pour moi, le plus grand risque, pour les entre-

prises, pour les managers, pour les leaders,

pour tout le monde, est l'incapacité à se

remettre en question. Le plus grand risque

c'est quand la peur de perdre est plus grande

que l'envie de gagner. Chez Nespresso, nous

travaillons énormément sur la culture d'entre-

prise et sur la relation qui se construit entre les

collaborateurs, entre les parties prenantes…

Nous sommes convaincus que l'entreprise est

un «

monde de la relation

». Et si on veut prendre

des risques, il faut que les gens se sentent auto-

risés à le faire. Chez Nespresso, nous voulons

favoriser les relations et les coopérations

inspirantes, avec des programmes de commu-

nication interne et l'attention portée à l'exem-

plarité dans le management : écoute de chacun,

droit à l'erreur…

Comment est-il possible d'identifier l'émer-

gence de nouveaux risques ?

Il faut être très ouvert, très à l'écoute, et passer

beaucoup de temps à comprendre ce qui se

passe à l'extérieur de l'entreprise. Le gros

danger est d'être nombriliste. Lorsqu'on est

centré sur son entreprise, sur son business,

sur son marché ou sur son segment de marché,

on se coupe de l'écosystème global. Certaines

organisations se présentent comme leader sur

leur segment. Souvent, si on y regarde de plus

près, on s'aperçoit que la taille du segment est

très réduite et que la société en est l'unique

acteur. Ce nombrilisme empêche l'apprécia-

tion des risques, celle-ci n'étant possible que

si l'on est ouvert et que l'on passe vraiment

du temps à s'imprégner de ce qui se passe à

l'extérieur. Cette démarche permet d'anticiper

l'émergence des petits risques. Par contre, il

est difficile de voir arriver les grands. Ceux-là

ne sont pas dans le radar. Un exemple, dans la

téléphonie mobile : lorsqu'Ericsson et Nokia se

partageaient le marché, personne n'a soup-

çonné l'arrivée d'Apple. Et pourtant, la marque

s'est largement imposée. Autre exemple, dans

l'industrie du film : personne ne pouvait prédire

que Netflix, qui louait des cassettes vidéo,

deviendrait un géant. Les grands risques, on

ne les voit pas arriver. À mon avis, l'essentiel

n'est pas d'essayer de le repérer. Ce qui est

primordial, c'est d'être prêt à les accueillir en

étant suffisamment agile, psychologiquement

et structurellement, pour pouvoir s'adapter.

Quelsseront,selonvous,lesprincipauxrisques

auxquels les entreprises seront confrontées

dans 25 ans ?

J'ai deux réponses. L'une concerne particu-

lièrement Nespresso : il s'agit du changement

climatique et de la rareté des ressources. Les

caféiculteurs sont à la merci du climat. Aussi,

nous nous efforçons d'œuvrer en faveur de

l'environnement, de la reforestation, des

fermiers pour qu'ils puissent continuer à

vivre de leur travail… Rappelons que nous

parlons d'un produit essentiel : le café est la

deuxième boisson la plus consommée après

l'eau. Le danger est que les pays riches n'ont

pas conscience de la notion de ressource et

de l'impact de son exploitation : la déforesta-

tion, qui la voit, à Paris, où nous n'y sommes

pas directement confrontés ? La rareté de la

ressource va conduire à un changement de

paradigme complet et le changement clima-

tique est le risque le plus lourd qui pèse sur

les entreprises. Mon autre réponse, c'est le

« risque de disparition », il concerne toutes

les organisations. Une étude internationale

menée par BETC et le magazine Clés en 2014

indiquait que 73 % des marques pourraient

disparaître dans l'indifférence générale au

cours des années qui viennent. Les entre-

prises doivent l'intégrer : personne n'est

too

big to fail.

Il y a 25 ans, quels étaient les risques prin­

cipaux ?

Honnêtement, je ne me rappelle pas vraiment.

Peut-être que nombre d'entreprises n'ont pas

pris la mesure des conséquences du dévelop-

pement de l'informatique, des nouvelles tech-

nologies, d'Internet… Certes, il existait une

crainte de voir la main-d’œuvre remplacée par

des machines, mais avait-on vraiment anti-

cipé tous les bouleversements connexes qui

allaient être engendrés ?

Le risque en une phrase ?

Le plus grand risque, pour une entreprise,

est de ne pas prendre de risque. J'ai une

autre phrase : attention à ne pas confondre

la prise de risque et la mise en danger.

Personnellement, je prends des risques, mais

je n'ai jamais le sentiment de mettre mon

entreprise en danger. S'il n'y avait pas cette

confusion, si la distinction entre risque et

danger était bien établie, les entreprises pren-

draient davantage de risques et les transfor-

meraient en opportunité.

ARNAUD DESCHAMPS

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE NESPRESSO FRANCE

« Attention à ne

pas confondre la prise

de risque et la mise

en danger.»

Arnaud Deschamps,

Directeur général de Nespresso France

Biens de consommation

1400 salariés en France

© Mathieu Zazzo

ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DES PROFESSIONNELS DU RISQUE ET DE L'ASSURANCE

I N°11 I

DÉCEMBRE 2016

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