DOSSIER
L'APPROCHE DU RISQUE DE 25 CEO
ALAIN PONS
PRÉSIDENT DE DELOITTE FRANCE ET DEPUTY CEO MONDIAL
«Savoir prendre
des risques, c'est
savoir ne pas les
subir.»
Sijevousdis«
risque
»,quelssontlespremiers
mots qui vous viennent à l'esprit ?
En premier lieu, je dirais
Anticipation
: la ca-
pacité à anticiper le risque et sa provenance.
Ensuite, j'utiliserais le terme
Maîtrise
: la
capacité à gérer le risque lorsqu'il survient,
comme un réflexe. Enfin, le risque c'est aussi
une
Opportunité
: l'opportunité de dévelop-
per d'autres choses. Le risque, pour moi, c'est
donc anticiper, maîtriser et saisir les opportu-
nités.
Quel est le principal risque de votre entre-
prise/des entreprises aujourd'hui ?
Le principal risque, à l'heure actuelle, me
semble être le facteur humain. Ce que nous
observons aujourd'hui, aussi bien chez
Deloitte que dans les entreprises que nous
accompagnons, c'est une tendance à la mise
en place de modèles, de protocoles, de pro-
cédures… Cela est évidemment nécessaire,
mais cette démarche ne doit pas faire office
de parangon ni de but. La priorité est de po-
sitionner le facteur humain au cœur de la ges-
tion des risques. Cela suppose d'instaurer une
culture du risque. Pour reprendre mes trois
termes initiaux, « anticiper », «maîtriser »,
« saisir l'opportunité », voilà trois étapes où
le facteur humain se révèle essentiel.
Comment est-il possible d'identifier l'émer-
gence de nouveaux risques ?
L'identification de nouveaux risques passe
autant par les outils que par la sensibilisa-
tion au plus haut niveau. Les outils, ce sont la
cartographie, l'intégration du risque dans la
chaîne de management, les process dédiés à
l'anticipation, à l'identification, à la maîtrise
et à la gestion du risque. La sensibilisation,
quant à elle, concerne en priorité le top ma-
nagement, les comités exécutifs, les conseils
d'administration… Dès lors que le plus haut
niveau de l'organisation est sensibilisé, il
saura anticiper, analyser les signaux faibles.
Cela est primordial dans un monde qui s'accé-
lère et où le risque peut venir de partout : des
nouvelles technologies, des nouveaux com-
portements, des nouveaux business models,
des nouvelles formes de criminalité… Face à
l'explosion de nouvelles pratiques, l'accultu-
ration au risque au plus haut niveau va de pair
avec la mise en place de nouveaux outils.
Quels seront, selon vous, les principaux
risques auxquels les entreprises seront
confrontées dans 25 ans ?
Je pense à un risque qui pèse déjà sur les
organisations et qui va, à mon avis, s'inten-
sifier : le risque réputationnel. À l'heure où
l'information est immédiate et continue, à
l'heure de la montée en puissance des réseaux
sociaux, le risque de réputation est prégnant.
Pour s'en prémunir, les entreprises doivent
notamment se concentrer sur la maîtrise tech-
nologique. Ces nouveaux canaux n'ont pas
seulement engendré de nouvelles relations en
BtoC comme en BtoB, ils ont aussi ouvert la
voie à la cybercriminalité. Un autre élément
entre en ligne de compte, la responsabilité
sociale, sociétale et environnementale de
l'entreprise, qui suppose l'exemplarité et ne
peut souffrir aucun manquement à l'heure
des réseaux sociaux. L’entreprise est au cœur
de la société, le risque de réputation est ex-
trêmement délicat à gérer sur une planète où
le rythme de la communication ne cesse de
s'accélérer. Dans ce contexte, les entreprises
doivent être en mesure de s'adapter. Cette ap-
pétence au changement doit être portée par
le top management et doit infuser à tous les
niveaux de l'organisation.
Il y a 25 ans, quels étaient les risques
principaux ?
Il y a 25 ans, les grands risques actuels
(risques financiers, risques de réputation,
risque de pérennité) existaient déjà, les or-
ganisations ont toujours été «mortelles »,
vulnérables. Simplement, il y a 25 ans, les
conséquences d'une occurrence d'un risque
étaient beaucoup moins fortes qu'elles ne le
sont aujourd'hui. Les organisations avaient
davantage de marges de manœuvre et davan-
tage de temps pour gérer, pour communiquer,
pour rebondir… Aujourd'hui, la réponse doit
être immédiate, instantanée. Il faut savoir
s’adapter en fonction de l’évolution fulgu-
rante des nouvelles technologies… La grande
différence entre maintenant et il y a 25 ans,
c'est le rapport au temps.
Le risque en une phrase ?
Le risque principal c'est de ne pas en prendre.
Si vous voulez créer de la valeur, il faut savoir
prendre des risques. Une économie est basée
sur des investisseurs, des entrepreneurs qui,
par nature, prennent des risques. La culture
de gestion des risques ne doit pas être ortho-
gonale par rapport à la culture entrepreneu-
riale. Le principe de précaution ultime, c'est
de ne rien faire. Et ne rien faire, c'est dispa-
raître. Savoir prendre des risques, c'est savoir
ne pas les subir.
Alain Pons,
Président de Deloitte France
et Deputy CEO mondial
❱
Audit et conseil
❱
1,114 milliards d'euros
de chiffre d'affaires en 2015-2016
❱
10300 salariés en France
© Augustin Detienne
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DES PROFESSIONNELS DU RISQUE ET DE L'ASSURANCE
I N°11 I
DÉCEMBRE 2016
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