L
e Président d’honneur de l’IFA (Institut Français des Admini
strateurs) explique à Atout Risk Manager ce que les administrateurs
indépendants attendent des entreprises en termes de communica-
tion sur leurs risques.
En tant qu’administrateur, êtes-vous déjà passé à côté d’un risque
important ?
Que l’on soit dirigeant, ancien dirigeant, ou administrateur d’entreprise,
on ne peut que faire le constat qu’il y a des risques que l’on n’a pas vu
venir, pas su anticiper. C’est vrai pour le management comme pour les
conseils d’administration, les comités d’audit ou les comités des risques.
Tout administrateur lucide et honnête vis-à-vis de lui-même se doit de le
reconnaître. La vie des entreprises industrielles ou financières comporte
évidemment, en permanence, une prise de risque. Nul ne peut attendre
des dirigeants, des administrateurs ou des superviseurs qu’ils neutra-
lisent par avance tout risque : c’est impossible... Personne ne pourra
reprocher à un dirigeant d’entreprise, à un administrateur, à un commis-
saire aux comptes, à un directeur des risques ou à un responsable de
l’audit interne de n’avoir pas empêché la survenance d’un risque : il n’y
pas d’assurance tous risques dans la vie de l’entreprise. Ce qu’on attend,
c’est une maîtrise raisonnable de la prise de risques, la gestion des
risques est une obligation de moyens, certainement pas de résultat.
Les entreprises communiquent-elles correctement sur leurs risques
auprès de leurs administrateurs ?
On ne peut pas répondre de façon globale, par oui ou par non. Les entre-
prises françaises ont en général un assez bon, voire un très bon, suivi
de leurs risques commerciaux et financiers, c’est-à-dire des risques
liés à l’évolution de leurs comptes, de leurs équilibres de bilan et des
ratios de gestion financière. Tous les conseils que j’ai connus disposaient
donc d’une batterie d’indicateurs restitués par le management, sur les
risques de liquidité, de solvabilité, d’endettement excessif, comme sur
les risques de contrepartie, de taux et de change. La plupart des entre-
prises – grandes ou petites – disposent aujourd’hui d’indicateurs de ce
type. Ainsi, lors de l’examen des comptes du trimestre, les administra-
teurs sont en mesure de faire un point sur l’évolution des grands risques
financiers et commerciaux de l’entreprise.
En revanche, dans beaucoup d’entreprises, le suivi des autres types de
risquespeutêtreplusparcellaire.NotammentpourlesrisquesdetypeRSE
(environnementaux et sociaux), les risques de conformité et d’éthique et
même les risques de contentieux juridiques et fiscaux. Il suffit de voir la
manière dont beaucoup de groupes se trouvent aujourd’hui mis en cause
par la justice, dans leur pays ou dans des pays étrangers, ou l’avalanche
de pénalités et condamnations qui s’est abattue sur les grandes banques
internationales, depuis trois ou quatre ans, sur des sujets comme les
opérations d’initiés, les crédits sub-primes, les marchés interbancaires
et de devises, ou l’application des législations anti-blanchiment et
anti-corruption. À l’évidence, ces risques sont mal identifiés ou gérés
avec retard au niveau des managements eux-mêmes. On constate que
leur restitution aux conseils d’administration et aux comités d’audit a
été souvent tardive et très insuffisante.
Quels sont les bons outils pour informer les administrateurs sur les
risques ?
Il y a, me semble-t-il, deux bons outils pour permettre au conseil d’ad-
ministration d’être bien informé, et ainsi être en mesure d’assurer sa
mission de suivi et d’évaluation des risques, en soutien du management.
Le premier est aujourd’hui largement diffusé : il s’agit de la cartogra-
phie des risques de l’entreprise. C’est une première étape, indispen-
sable, mais qui à mon sens ne suffit pas, car une fois que l’on a bien
identifié la nature des risques de l’entreprise, il faut ensuite en assurer
un suivi régulier. Il existe pour cela un second outil : le tableau de bord
des risques, ou « risk dashboard » : qui permet le suivi de l’évolution
des risques, une évaluation de leur intensité et de leur probabilité
d’occurrence. C’est un outil très utile et très pertinent, qui permet au
comité d’audit et/ou des risques de débattre des risques de façon, non
pas abstraite, mais plus opérationnelle. Mais toutes les entreprises
n’en disposent malheureusement pas encore.
Que peut-on dire à l’extérieur sur les grands risques de l’entreprise ?
C’est une question très difficile. On doit aux actionnaires et au marché
une information aussi « rapide, complète et pertinente » que possible.
Dans tous les cas, elle ne doit pas être de nature à les
induire en erreur : c’est la loi. Mais il est très diffi-
cile, pour une entreprise, de donner au public
une information continue, actualisée et
précise sur tous les risques auxquels elle est
exposée, en particulier sur certains sujets
qui font l’objet de négociations qui peuvent
être conduites sur de longues périodes. Il
faut donc faire le tri entre ce qui peut être
dit, ce qui doit être dit, et ce qui ne peut pas
l’être... Ce choix relève de la responsabilité du
management, mais aussi du conseil d’admi-
nistration, qui doivent donc décider ensemble
quelles informations donner sur les risques à
l’extérieur de l’entreprise : en termes de subs-
tance, d’évaluation des impacts, et sur
l’avancement des contentieux ou des
négociations. C’est un sujet délicat,
souvent discuté dans les comités
d’audit. Il n’existe pas de réponse
standard.
CE QU’EN PENSENT…
«Il faut faire le tri entre ce qui ce
qui doit être dit, ce qui peut être dit
et ce qui ne peut pas l’être...»
Daniel Lebègue,
Président d’honneur de l’IFA
…UN ADMINISTRATEUR INDÉPENDANT GRANDS GROUPES –
DANIEL LEBÈGUE, IFA
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DE L’AMRAE
I N°3 I
JANVIER 2015
23
DOSSIER
COMMUNICATION SUR LES RISQUES