SOLVABILITÉ II : CONSOLIDATEUR DU MARCHÉ ?
L’accélération de consolidation du marché des mutuelles au
cours des dernières années est-il un effet induit de la prochaine
mise en application de Solvabilité II ? Certainement, estime
Philippe Trainar : «
Solvabilité II a consolidé le marché. À présent
nous verrons, si le mouvement se poursuivra. Car lorsqu’une
entreprise est confrontée à des exigences accrues de capital,
il n’y a que quatre solutions : émettre du capital sous forme
d’action, recourir à la dette hybride, économiser son capital en
diversifiant son activité ou en se rapprochant d’une entreprise
diversifiante, ou se réassurer. Or, le capital est aujourd’hui une
ressource rare et coûteuse. Le recours à la dette hybride suppose
que l’on ne soit pas trop endetté. La diversification et la consoli-
dation correspondent à des stratégies de plus long terme. Reste
la réassurance : nous avons constaté en effet une demande
accrue de la part des cédantes…
»
Pour David Dubois, les fusions ne sont pas liées uniquement
à la mise en place de la directive : «
la pression concurrentielle
fait que les petits organismes aujourd'hui ont plus de difficultés
à survivre proprement dans cet univers, mais Solvabilité II est
probablement un accélérateur
».
QUELS IMPACTS SUR LES SOCIÉTÉS INDUSTRIELLES
ET COMMERCIALES ?
D
es mesures et des processus mis en place, peut-on tirer des
enseignements utiles aux entreprises industrielles et commer-
ciales ? Les avis divergent. Pour Jérôme Isenbart, une partie des
méthodologies des trois piliers peut en effet être appliquée dans
les autres secteurs d’activité. «
Le diagramme du Pilier I peut être
transposable à des entreprises industrielles. Il oblige à dresser un mapping
des risques (en n’hésitant pas à sortir des zones connues), à les comparer
les uns aux autres, à les évaluer, et les suivre dans le temps. Il donne en
plus la métrique pour mesurer chaque risque. Mais un Risk Manager expéri-
menté saura poser une métrique en face de ces risques. Poser des situations
inimaginables sur le papier permet de se demander quelle solutionmettre en
place comme plan d’action. Et cela, c’est transposable. Quant au Pilier III
et ses rendus narratifs, nous pouvons les rapprocher des rapports qu’un Risk
Manager va faire à son comité exécutif.
»
Pour Catherine Véret Jost, Solvabilité II à l’instar de Bâle II «
peut
servir de référence pour dégager de bonnes pratiques en matière de
gouvernance de gestion des risques
». Selon Dan Chelly, il est possible
aujourd’hui pour les entreprises commerciales et industrielles de
s’inspirer directement de Solvabilité II. En effet, des convergences
sont clairement envisageables «
La banque et l’assurance sont forte-
ment réglementées car tout le système repose sur la confiance. Sinon le
système ne fonctionnerait pas. Dans l’industrie et les services, la notion
de confiance évolue énormément avec les transformations de la société.
Cette notion de confiance peut tuer ou affaiblir des entreprises indus-
trielles. Et elle va prendre une nouvelle dimension en lien avec le risque
de réputation et les campagnes de rappel produits. Ce qui va peut-être
orienter les industriels vers les réglementations en matière de risques et
de conformité qui sont imposées dans la banque et la finance.
»
TRANSPOSABLE OU PAS ?
Les bonnes pratiques de Solvabilité II peuvent-elles être récupérées
pour la gouvernance des risques ? Certainement pour quelques CRO en
raison du degré de modélisation des risques exigé par la directive : «
les
techniques de modélisation des risques sont moindres dans les secteurs
commercial ou industriel que dans les univers régis par les exigences
prudentielles. En transposant certaines pratiques, on pourrait peut-être
mieux calibrer ou estimer le risque opérationnel. Et mettre en regard
les investissements ou les dépenses des dispositifs de prévention ou de
protection (ou de rectification) qui sont déployés pour faire face à ces
risques
», souligne Renaud Bruneteau.
Pour Nicolas Dufour, «
c’est intéressant notamment pour structurer les
politiques, par exemple sur la gestion des risques ou sur les pratiques de
compétence et d’honorabilité
». Néanmoins, la question vaut aussi dans
l’autre sens : «
nous sommes sur un secteur réputé comme réglementé.
Mais n’omettons pas les risques à fort impact comme la sécurité au
travail que nous avons tendance à négliger comme le montre l’enquête
AMRAE risques RH, alors que dans nos entreprises qui sont en profondes
mutations l’impact n’est pas neutre
». Le plus catégorique reste Jimmy
Zou, qui n’a pas attendu la mise en place de la directive pour en utiliser
les bonnes pratiques. «
Le secteur des énergéticiens par exemple s’inté-
resse au concept d’appétit au risque avec sa dimension rentabilité voire
sa dimension coût. Pour ma part, je réalise des ORSA adaptés à cette
population car le processus est très facile à décliner et tout à fait appro-
prié dans une optique de pilotage d’activité.
»
Philippe Trainar ne partage pas ce constat. Pour lui, les règles de l’as-
surance ont trop de particularités pour être vraiment transposables :
«
Solvabilité II établit des règles de gestion des risques pour des entreprises
dont le métier est de prendre des risques. Ce n’est pas le cas des entreprises
industrielles et commerciales qui cherchent à éviter le risque. La gouver-
nance du risque ne peut donc être la même selon l’appétence au risque. La
gestion des risques ne s’applique donc pas du tout de la même façon dans
l’assurance et en dehors de l’assurance
». Néanmoins, il estime possibles
LES ENSEIGNEMENTS DE SOLVABILITÉ II
«Le Pilier II est une approche
par choc de l’entreprise.
Elle pousse à imaginer des
situations inimaginables.»
Jérôme Isenbart, Directeur des Risques, CCR
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DE L’AMRAE
I N°7 I
DÉCEMBRE 2015
22
DOSSIER
SOLVABILITÉ II