MÉTIER RISK MANAGER
ZOOM SUR…
VERS L’EXTENSION DES RESPONSABILITÉS DE L’AFFRÉTEUR
Mais les opinions publiques et le droit ont évolué, notamment sous
la pression des armateurs et de différents lobbies. Plusieurs jurispru-
dences, principalement au Royaume-Uni, ont établi progressivement
que l’affréteur, en tant que participant à l’expédition maritime, devait
endosser certaines responsabilités nouvelles. Ainsi, en tant que chargeur
et souvent propriétaire de la cargaison, sa responsabilité ne se limite
plus à remettre à l’armateur une cargaison «
saine
» qui ne corrode pas
les soutes et à utiliser le bateau de façon licite, pour ne citer que deux de
ses obligations précédentes. Désormais, dans une vision plus moderne de
l’affréteur, il se voit tout d’abord impliqué dans le choix des navires et des
installations portuaires, et se trouve donc responsabilisé dès le départ.
«
L’affréteur se doit de désigner et d’envoyer les bateaux affrétés dans des
lieux sûrs : c’est la notion de "safe port/safe berth", qui doit permettre
au navire et à la cargaison d’arriver et de rester pendant les opérations
commerciales "safely afloat"
», explique Guy-Louis Fages.
Ce terme de sûreté regroupe à la fois des notions
techniques et nautiques (tirant d’eau, clair
sous quille, profondeur…) mais égale-
ment un aspect politique (port en proie
à la guerre civile, à un embargo…).
Dans l’éventualité où le bateau arri-
verait dans un port attaqué par
des rebelles ou bien en raclant le
fond de la cale, la responsabilité
de l’affréteur pourra maintenant
en partie être recherchée. «
Le
"safe port" a fait l’effet d’un coup
de massue chez les affréteurs, ils
ne s’attendaient pas forcément à
cette évolution et ont pu parfois
être surpris par ses implications
»,
reconnaît Guy-Louis Fages.
Cette vision plus large du champ des
responsabilités et de l’allocation des risques
concerne également les intérêts économiques
de l’expédition maritime, et à ce titre les éven-
tuels dommages à l’environnement liés à la pollution.
«
Suite en particulier au naufrage de l’Exxon Valdez en 1989 puis
de l’Erika 10 ans après, le concept de "deep pocket" a fait son chemin, et
pour des sinistres majeurs occasionnant d’énormes dommages à l’environ-
nement, il est désormais courant de chercher l’argent de l’indemnisation là
où il est censé se trouver. En la matière, les compagnies pétrolières, affré-
teurs de tankers réputés solvables, sont donc désormais systématiquement
recherchées en responsabilité, dans une démarche qui se veut tant éthique
que financière
», explique Guy-Louis Fages, avant de préciser : «
Ceci s’est
fait d’autant plus facilement que la responsabilité de l’armateur est depuis
toujours limitée par un plafond fixé en fonction de la taille du bateau, qui
se révèle vite insuffisant en cas de gros dommage de type marée noire (frais
de nettoyage, réparation des préjudices, indemnisation des victimes…)
».
DE NOUVELLES GARANTIES ADAPTÉES POUR L’AFFRÉTEUR
Plus responsabilisé lors de l’expédition maritime, l’affréteur sait désor-
mais qu’en cas de sinistre, sa responsabilité pourra être recherchée et
qu’il pourra être amené à payer. Il doit donc travailler en amont à la
prévention des risques, en choisissant le bon armateur, les bons bateaux,
les bons trajets et les bons ports ou terminaux et les bons auxiliaires de
transport (manutentionnaires, services portuaires, handling…),
même s’il n’est pas toujours évident d’avoir les informa-
tions suffisantes pour bien choisir. De plus en plus,
les affréteurs procèdent à des audits de sélec-
tion des bateaux (vetting) sur des critères
nautiques (âge, double coque, équipe-
ments de radionavigation…) tout en
consultant les bases de données exis-
tantes.
En complément de la prévention,
les affréteurs, qui sont conscients
des nouveaux risques, souscrivent
des contrats RC Affréteurs mis au
point par les principaux acteurs du
marché, notamment les P&I clubs,
qui sont de loin les plus appétants
à ce risque, de par leur longue expé-
rience de l’assurance maritime auprès
des armateurs. «
La RC Affréteurs s’est
imposée peu à peu dans les esprits, car l’ex-
position potentielle des affréteurs aux risques
est devenue multiforme et en pleine expansion.
Les enjeux sont de nature financière et technique
(accès au port, choix du navire…) mais aussi directement
liés aux cargaisons, avec la sophistication de la gamme des produits
transportés. S’ils sont propriétaires de la cargaison, les affréteurs ont donc
également intérêt à souscrire une RC du fait de la cargaison
», conseille
Guy-Louis Fages. À bon entendeur…
UN RISQUE BIEN COUVERT
Les courtiers les plus actifs sur ce risque
en France sont le Groupe Eyssautier, Siaci Saint
Honoré (et en particulier Cap Marine, qu’ils viennent de
racheter), Guian, Filhet Allard et Marsh. À Londres, tous les
grands courtiers font de la RC Affréteur (Marsh, Willis, Price
Forbes…), de même que les courtiers spécialisés en risques
maritimes. Ànoter que lesmarchés belges et allemands sont assez
actifs également, en particulier Junge à Anvers et Hambourg.
Les P&I Clubs (Protection & Indemnity Clubs) sont les mutuelles
historiques des armateurs pour l’assurance Responsabilité
Civile des navires. Britanniques ou scandinaves dans leur
grande majorité, ils sont regroupés au sein de l’Inter-
national Group of P&I et assurent 90 % de la flotte
mondiale de navires de commerce en assurance
responsabilité de l’armateur et de plus en
plus de l’affréteur.
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ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DES PROFESSIONNELS DU RISQUE ET DE L'ASSURANCE
I N°11 I
DÉCEMBRE 2016