VEILLE ET POSITION
Même si le texte contient une liste de personnes
susceptibles de demander la réparation du
préjudice écologique (associations agréées
ou existant depuis 5 ans, collectivités territo-
riales, État, agence française de la biodiver-
sité), cette liste n’est pas limitative, de sorte
que l’action en réparation est ouverte à «
toute
personne ayant un intérêt à agir
».
Le principe est celui d'une réparation «
priori-
tairement en nature
». Le recours à une exper-
tise judiciaire paraît inéluctable car le juge n’a
pas la compétence technique pour fixer les
mesures de réparation adéquates et efficaces.
En cas d'impossibilité ou d'insuffisance de la
réparation en nature, des dommages et inté-
rêts peuvent être alloués. Mais il y a une obli-
gation de réemploi. Ainsi, si le demandeur à
l’action ne démontre pas que les fonds seront
affectés à la «
réparation de l'environnement
»,
les dommages et intérêts reviennent à l’État.
Il est également précisé que les coûts des
mesures engagées pour «
prévenir la réalisa-
tion imminente d'un dommage, pour éviter
son aggravation ou pour en réduire les consé-
quences
» sont un préjudice réparable. On peut
espérer que les juges contrôlent que les coûts
aient été légitimement engagés et qu’ils soient
proportionnés aux risques.
Le juge peut aussi prescrire au responsable, sous
astreinte, les mesures «
raisonnables
» propres à
prévenir ou cesser le dommage. Les questions
sur la frontière entre la compétence des auto-
rités administratives en charge de définir les
conditions d’exploitation selon les dispositions
du code de l’environnement et celles du juge
judiciaire risquent d’être nombreuses.
Enfin, la prescription de l'action est de 10 ans
à compter de la date à laquelle le deman-
deur avait ou aurait dû avoir connaissance du
dommage. À l’instar du préjudice corporel, le
délai butoir absolu de 20 ans n'est pas appli-
cable au préjudice écologique.
NOTIONS FLOUES = APPLICATION
RAISONNÉE INDISPENSABLE
Si la réparation des dommages environnemen-
taux est une préoccupation légitime, on ne
peut que regretter que le législateur n’ait pas
mieux défini les conditions d’articulation entre
ces nouvelles dispositions et celles figurant
dans le code de l’environnement.
En effet, le code de l’environnement contient
de nombreuses dispositions applicables en cas
d’atteinte à l’environnement et notamment,
mais pas uniquement, une loi spécifiquement
conçue pour réparer le dommage environ-
nemental (loi sur la responsabilité environ-
nementale ou «LRE» issue d’une directive
européenne du 21 avril 2004).
La LRE évite une dispersion des demandes et
permet une réparation effective du dommage
environnemental. Seul le Préfet est demandeur
à la réparation, mais les parties intéressées
telles que les associations et les collectivités
territoriales sont associées au processus de
décision via leur participation à des comités de
pilotage.
La réparation est exclusivement en nature
via
une série de mesures destinées à aboutir à
une réparation intégrale : la compensation des
pertes temporaires (réparation compensatoire),
le retour à l’état initial (réparation primaire) et,
si cela est impossible, des mesures destinées à
rétablir l’équilibre écologique dans un lieu le
plus proche possible du lieu du dommage (répa-
ration complémentaire).
La LRE ne s’applique toutefois qu’à certaines
composantes de l’environnement (sol, eaux,
habitats et espèces protégées sous les règles
de Natura 2000).
À défaut d’en élargir le champ d’application -
ce qui aurait été la solution la plus raisonnable
- le législateur aurait au moins pu faire direc-
tement référence aux critères de la LRE pour
la définition de ce qui est considéré comme
un dommage (la LRE vise le critère de gravité
pour les habitats et espèces protégées et celui
de risque pour la santé humaine pour les sols).
On peut néanmoins espérer que ces critères
servent de guide au juge judiciaire pour appré-
cier la notion d’atteinte «
non négligeable
».
La seule avancée par rapport aux projets
précédents, qui étaient totalement silencieux
sur l'articulation entre le code civil et le code
de l'environnement, est que le juge est tenu
de prendre en compte les mesures de répara-
tion ordonnées par le Préfet. Ceci implique
que le juge soit amené à prononcer des sursis
à statuer, car si le dommage est réparé, la
demande n'a plus d'objet. Cela signifie aussi
que l'exploitant responsable du dommage a
tout intérêt à faire preuve de réactivité pour
réduire son exposition à des demandes fondées
sur le code civil.
Au total, de nombreuses questions se posent
concernant l’application de ce nouveau régime
de réparation et il faut espérer que le juge judi-
ciaire en fasse une application raisonnée.
«Le concept
d’une atteinte
à l’environnement
“non négligeable”
promet de
nombreux débats
judiciaires…»
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ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DES PROFESSIONNELS DU RISQUE ET DE L'ASSURANCE
I N°11 I
DÉCEMBRE 2016