DOSSIER
L'APPROCHE DU RISQUE DE 25 CEO
Si je vous dis « risque», quels sont les trois
premiers mots qui vous viennent à l'esprit ?
Échec
,
Pagaille
et
Peur
. Pour un dirigeant,
ne pas anticiper le risque, c'est exposer la
société, mais aussi ses collaborateurs, ses
stakeholders, ses parties prenantes, etc. à
un éventuel échec. Ensuite, lorsqu'un risque
qui n'a pas été préparé et anticipé se matéria-
lise, on va droit à la pagaille. Enfin, le risque
fait peur. Nous sommes aujourd'hui dans des
univers de plus en plus mondiaux et « fast
moving » où les risques sont multiples, depuis
la disruption technologique, jusqu'à la perte
de talents, en passant par les risques poli-
tiques, le hacking en tous genres, ou encore
les risques liés à la responsabilité sociale
de l'entreprise : il y a de quoi se réveiller la
nuit ! Le risque est certes source d'excita-
tion et générateur d'adrénaline, mais c'est
aussi un agent perturbateur. Je me soigne…
mais, en tant que dirigeant, je suis en partie
paranoïaque.
Quelle place faut-il accorder au pilotage des
risques ?
Les entreprises sont aujourd'hui dans une
phase darwinienne : il faut s'adapter pour
ne pas disparaître. Ainsi, la durée de vie
moyenne d'une entreprise cotée en Bourse
n'est que de 14 ans, et tous les jours, des
entreprises importantes disparaissent subite-
ment. Le groupe Vivendi lui-même porte une
histoire : depuis son sauvetage au début des
années 2000, certaines branches n'existent
plus, d'autres ont été reprises, et l'entreprise
n'a finalement pas grand-chose à voir avec
ce qu'elle était au début de sa vie. Pour faire
partie des survivants, il faut miser sur ses
forces et parvenir à s'adapter à l'imprévu : le
pilotage du risque est donc vital.
De fait, mon action de dirigeant a trois
«
drivers
». Le premier est économique, bien
sûr. Le second est humain : il faut avoir une
obsession totale sur les sujets de gestion et
de rétention des talents. L'attractivité est
essentielle pour une grande maison comme la
nôtre : le seul avantage concurrentiel pérenne
d'une entreprise est la qualité des hommes et
femmes qui la composent. Enfin, le troisième
«
driver
» est le pilotage du risque. Je pourrais
écrire un livre épais comme la Bible sur l'ab-
solu et le nécessaire mécanisme d'anticipa-
tion des risques qui, seul, permet de prendre
les meilleures décisions. Les modèles straté-
giques, tels qu'on les étudiait il y a 30 ans
dans les meilleures écoles, sont aujourd'hui
mis à mal. Faire de la stratégie actuellement
en entreprise, c'est un peu comme faire des
sondages à l'heure du Brexit et de Trump ! Je
préfère la « vision» à la stratégie, mais il faut
se préparer aux risques et réagir vite quand ils
se présentent.
Quel est le principal risque de Vivendi aujour
d'hui ?
On en revient aux hommes. La dimension
créative est constitutive de notre ADN et
notre métier revient, fondamentalement, à
trouver les meilleurs talents. Notre risque
le plus important serait donc l'assèchement
de notre cœur créatif. De fait, si certains ont
récemment crié au loup, le groupe Vivendi
parvient aujourd'hui à conserver les talents,
notamment ceux de Gameloft. Notre opéra-
tion – non sollicitée mais pas inamicale – n'a
entraîné que très peu de départs…
Quels seront les principaux risques… dans
25 ans ?
Dans 25 ans, le modèle d'organisation et de
fonctionnement des entreprises sera totale-
ment chamboulé. L'entreprise devra s'inté-
grer dans un nouveau système social qui ne
sera plus géographique, comme aujourd'hui,
mais en network de type neuronal. Nous
allons passer d'un environnement où l'en-
treprise reçoit des acteurs, à un système où
chaque acteur individuel fonctionnera comme
une entreprise, avec un capital d'expérience,
une personnalité et des connaissances à
valoriser. Cela signifie que la notion même
d'entreprise va devoir être redéfinie, avec
l'intégration d'acteurs secondaires et de
parties prenantes dans un nouveau modèle de
business plus agile, plus fluide, plus mondial.
Mais il faudra toujours se poser la question de
la pérennité. Plus encore qu'aujourd'hui, il
faudra se demander : «
Que se passerait-il si je
n'existais pas ? »
Pour être pérenne, l'entre-
prise doit avoir une raison d'être et pouvoir
créer une fierté d'appartenance.
Le risque en une phrase ?
Sir Robin Miller, qui dirigeait le groupe Emap
quand j'y suis rentré, établissait un parallèle
entre le business et la moto, dont il était fan
comme moi. Dans les deux cas, disait-il, «
If
you don't fall off, you don't try hard enough
» :
ne pas tomber établit la preuve qu'on n'es-
saie pas assez fort. De fait, dans les affaires,
si on n'a jamais expérimenté l'échec, c'est
qu'on n'a pas essayé à fond. Il faut anticiper
et piloter les conséquences des risques mais
les échecs peuvent arriver. Je suis convaincu
par le «
try, fell and fi
x », «
on essaie, on tombe,
on répare
» : les échecs appartiennent à la
normalité du fonctionnement de l'entreprise.
Évidemment, sur le long terme, il faut que les
succès soient plus grands que les échecs.
Arnaud de Puyfontaine,
Président du Directoire du groupe Vivendi
❱
Groupe industriel intégré dans
les médias et les contenus
❱
10,7 milliards d'euros
de chiffre d'affaires
❱
16 395 salariés
ARNAUD DE PUYFONTAINE,
PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DU GROUPE VIVENDI
« Try, fell and fix.»
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DES PROFESSIONNELS DU RISQUE ET DE L'ASSURANCE
I N°11 I
DÉCEMBRE 2016
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