E
nfin ! Annoncée initialement pour 2011 puis
sans cesse repoussée, la directive européenne
Solvabilité II entre finalement en application le
1
er
janvier 2016. S’il a fallu autant de temps pour
que cette réglementation qui touche l’ensemble
des compagnies d’assurance et de réassurance (à l’excep-
tion des organismes qui encaissent moins de 5 millions
d’euros de primes annuelles) soit mise en place, c’est non
seulement en raison de sa complexité mais aussi parce
qu’elle sous-entend de profondes modifications dans la
gouvernance des entreprises concernées. À tel point que
le texte initial a été modifié plusieurs fois et que beau-
coup d’experts estiment que des changements pour-
raient encore intervenir dans les prochaines années. Pour
Philippe Trainar, Chief Economist de Scor, la prudence
de certaines entreprises vis-à-vis de Solvabilité II n’est
pas vraiment étonnante. «
De nombreux acteurs géraient
leur compagnie en adéquation avec Solvabilité I. Or avec
Solvabilité II, ils constatent que les règles du jeu sont diffé-
rentes, qu’il va y avoir des perdants et des gagnants. Cela
pose des problèmes de transition, avant que ces nouvelles
règles deviennent légitimes. Cela met aussi en évidence les
imperfections de Solvabilité II, qui devront être corrigées à
l’avenir
».
LA DIRECTIVE RENFORCE LA FONCTION
RISQUES AU SEIN DES ORGANISATIONS
L’un des grands principes fondateurs de Solvabilité II
porte sur la gestion des risques. L’Autorité de Contrôle
Prudentiel (ACPR) est à cet égard formelle : «
l’objectif
de Solvabilité II est d’encourager les organismes à mieux
connaître et évaluer leurs risques et adapter les exigences
réglementaires à leur profil de risque
». Il s’agit, rappelle
le régulateur, «
d’avoir une meilleure adaptation des
exigences de capital et des pratiques de contrôle au profil de
risque des organismes
». Pour preuve de cette importance,
la directive fait de la gestion des risques (articles 44 & 45)
l’une des quatre fonctions clés qui doivent être mises en
place dans les organisations à l’instar de l’audit, de la
conformité et de l’actuariat (cf. encadré) : «
les assureurs
avaient déjà une bonne maîtrise des risques de souscription
mais d’autres risques (financiers, de marché…) étaient
sous-estimés. Or les risques de marché représentent 50 %
des risques en assurance non-vie et 75 % en assurances de
personnes. La directive professionnalise la fonction Risques
au sein des organisations. Elle les oblige à une meilleure
connaissance de leur profil de risque et de celui de leurs
clients
», souligneNicolas Calmon, Manager chez Solucom.
«
Jusqu’alors, chez les assureurs, il y avait surtout une
notion de contrôle interne dans la lignée d’une maîtrise
des risques par les processus. Solvabilité II donne une
surface très large à la fonction. Le risque est désor-
mais au cœur de la prise de décision
», appuie Jimmy
Zou, associé chez PwC. «
Ainsi lorsqu’une entreprise
décide de lancer un nouveau produit, elle va regarder
son incidence sur son portefeuille et fixer des objectifs
à ses commerciaux avec cette perspective. Elle mettra
en place un processus avec des systèmes d’alerte pour
suivre l’écart entre l’appétit au risque et la prise de
risque effective
».
UNE DIRECTIVE QUI TRANSFORME
LA GOUVERNANCE DES COMPAGNIES
D’ASSURANCE
Philippe Trainar,
Chief Economist, Scor
Nicolas Calmon,
Manager, Solucom
Jimmy Zou,
Associé, PwC
SOLVABILITÉ II : DIFFICILE D’Y ÉCHAPPER
La mise en place de Solvabilité II touche quasiment l’ensemble des entreprises du secteur…
qui ne disposent pas toutes des mêmes ressources humaines et financières. Pour Nicolas
Dufour, en charge du contrôle interne et de lamaîtrise des risques chez Mutuelle UMC, c’est
une contrainte pour les petites et moyennes structures. «
Beaucoup de dispositifs ne sont
pas toujours prévus ou conçus pour des entreprises de cette taille. Toutes n’ont pas forcément
bien anticipé d’autant que certains sujets très techniques comme la qualité des données
peuvent vite devenir chronophages
». Mais si l’exercice s’avère complexe, l’impact est
véritablement positif sur la gestion globale des risques : «
il s’agit non seulement
d’être conforme mais aussi de profiter de ces exigences nouvelles – qui n’étaient pas
forcément dans la culture de l’entreprise - pour mettre en place des dispositifs plus
pérennes. Et pas seulement pour combler des écarts de conformités. Fournir de la
documentation pour être conforme et répondre à des exercices préparatoires, tout
le monde peut le faire. En revanche, conduire le changement et mettre en place des
dispositifs pérennes, c’est peut-être ça la plus grande difficulté.
»
Nicolas Dufour,
c
ontrôle interne et maîtrise
des risques, chez Mutuelle UMC
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DE L’AMRAE
I N°7 I
DÉCEMBRE 2015
16
DOSSIER
SOLVABILITÉ II