P
our Jean-David Levitte, le tournant se situe en effet en 1979.
«
Le risque politique était limité à la guerre froide. C’était
balisé
». Mais quatre évènements surviennent en 1979 avec un
impact irrémédiable sur la marche de notre histoire : la chute
du Shah en Iran qui a marqué le début de l’Islam politique et
de la situation qui secoue aujourd’hui le Moyen-Orient ; le deuxième
choc pétrolier qui pèse sur les États-Unis déjà affaiblis par la crise des
otages ; le lancement par Deng Xiaoping, le chef de l’État chinois, d’un
vaste ensemble de réformes économiques dans son pays. Et enfin à
Noël, l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques.
10 ans plus tard, lemonde assistait à la chute dumur de Berlin puis à celle
de l’URSS. «
C’était surtout la fin d’un monde bipolaire et le début d’un
monde unipolaire avec les États-Unis comme hyper puissance dominante
»,
rappelle Jean-David Levitte. «
Un tournant également idéologique avec la
fin du communisme et l’instauration d’une seule règle : l’économie de
marché et le début d’une nouvelle mondialisation rendue possible par l’ou-
verture des frontières de l’Europe de l’Est
». Pour les Européens, l’autre
bouleversement fut l’extension de l’Union Européenne passée à 25
puis 28 membres et de 180 à 500 millions d’habitants, «
faisant de l’UE
la première puissance économique mondiale
». Non seulement géopoli-
tiques, les changements coïncidèrent également avec les révolutions
des TIC et des porte-conteneurs. «
Elles ont accéléré les transports vers
le monde entier et réduit les coûts au moment où la Chine s’ouvrait, lui
permettant de partir à la conquête commerciale du monde
».
UN MONDE APOLAIRE MARQUÉ PAR UNE PHASE DE CHOCS
Ce monde en pleine mutation connut en septembre 2001, un nouveau
choc brutal. «
Les États-Unis au sommet de leur puissance découvrent
leur vulnérabilité et constatent qu’ils ne sont plus la puissance absolue
»,
raconte Jean-David Levitte, à l’époque ambassadeur de France à l’ONU.
S’ensuivent 15 années de troubles et de transformations marquées entre
autres, par les guerres en Afghanistan et en Irak sur le plan géopolitique
et l’émergence économique des BRIC (Brésil – Russie – Inde – Chine).
Après ce bilan, comment analyser la situation de 2016 ?
Pour le diplomate, le monde est devenu apolaire. «
Il n’y a plus de pilote
dans l’avion de la mondialisation. Les États-Unis se retirent mais personne
ne veut les remplacer. Les BRIC ont explosé et de nouveaux acteurs émer-
gent comme la Corée du Sud, la Turquie ou l’Indonésie
». Un monde sans
leadership où les règles du jeu sont plus ou moins contrôlées par la
Chine et la Russie. «
Avec un président russe, Vladimir Poutine, rêvant de
reconstruire l’empire de Catherine II en s’appuyant sur les ultranationa-
listes et un État chinois désireux de faire reconnaître sa souveraineté à ses
voisins
», d’où des tensions avec certains d’entre eux : Japon, Corée du
Sud, Vietnam. «
Nous ne vivons pas une transition comme après le Traité
de Vienne en 1815 ou après 1945 mais une phase de chocs avec des risques
de fragmentation. Au Moyen-Orient mais aussi en Europe avec les velléités
d’indépendance de la Catalogne ou de l’Écosse
». Jean-David Levitte
conclut cependant sur une note positive soulignant que «
le monde
apolaire est une bonne époque pour les puissances moyennes comme la
France qui veulent agir. Nous avons un rôle à jouer
».
VISIONS DE L'INTERNATIONAL
Jean-David Levitte était l’invité d’honneur du dîner organisé par l’AMRAE à la veille de l’ouverture
des 24
ème
Rencontres. L’occasion pour le diplomate et Ambassadeur de l’AMRAE de s’exprimer sur
les grands enjeux et risques géopolitiques internationaux de ces 35 dernières années.
«Un monde sans leadership où
les règles du jeu sont plus ou moins
contrôlées par la Chine et la Russie. »
« Le monde apolaire est une bonne
époque pour les puissances moyennes
comme la France qui veulent agir. »
ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DE L’AMRAE
I N°8 I
MARS 2016
43
DOSSIER
RETOUR SUR LES 24
ÈME
RENCONTRES DU RISK MANAGEMENT