ATOUT RISK MANAGER N°35

ATOUT RISK MANAGER N°35 I HIVER 2022-2023 68 Veille et position - Conflit Russie-Ukraine NOS PARTENAIRES DOSSIER RÉDACTIONNEL COORDONNÉ ET RÉALISÉ PAR HANNIBAL+ POUR LE SERVICE COMMERCIAL DE LA FFE Par le biais d’une interprétation extensive d’une jurisprudence ciblée et d’un régime présumé d’indemnisation par la société des frais de défense et dommages et intérêts encourus par son mandataire social, certains assureurs ont commencé à étendre l’application de franchises aux garanties couvrant la responsabilité personnelle de dirigeants d’entreprises françaises. Quels sont les enjeux d’une telle prise de position ? Dans son arrêt du 18.10.2006(1), la Cour de cassation a en effet reconnu obligation pour l’employeur de prendre en charge les frais de défense pénale de son salarié au motif que « investi par la loi du pouvoir de direction et de contrôle des salariés placés sous sa subordination juridique, l’employeur est tenu de garantir ceux-ci à raison des actes ou faits qu’ils passent ou accomplissent en exécution du contrat de travail ». Toutefois, cette jurisprudence, réitérée en 2017(2) et 2019(3), ne s’applique qu’à la triple condition que le dirigeant soit salarié, ait agi dans l’exercice de ses fonctions et sans abuser de cellesci à des fins personnelles. Sans aborder le fait que la société puisse à tout moment contester chacun de ces critères, cette prise en charge exclut tout contentieux civil avec des tiers puisque la mise en cause personnelle d’un dirigeant exige une faute séparable dont les caractéristiques depuis 2003(4) restent inchangées : une faute intentionnelle, d’une particulière gravité et incompatible avec l’exercice des fonctions sociales. Dès la fin des années 1950(5), la jurisprudence avait estimé que la prise en charge des frais de défense du dirigeant par sa société était constitutive d’un abus de biens sociaux et ce, malgré l’accord préalable de l'assemblée générale d’actionnaires puis le remboursement des sommes ainsi avancées. En outre, il convient d’avoir à l’esprit que la Haute juridiction a retenu que le délit d’abus de biens sociaux se trouvait caractérisé en l’absence de justification du caractère social de l’utilisation des fonds de la société(6). Même si cette présomption semble avoir été tempérée par la suite(7), la prise en charge, par la société, des frais de défense d’un ancien dirigeant (même si non décidée par ce dernier pour son intérêt personnel) a été qualifiée comme étant contraire à l’intérêt de la société(8). Certaines compagnies stipulent dans leur contrat d’assurance responsabilité des dirigeants qu’elles n’appliqueront pas de franchise « sauf si l’assuré a légalement la possibilité de demander à sa société de prendre en charge ses frais de défense et indemnités… ». Sans aborder le fait que cette possibilité en France provient de la jurisprudence et non du législateur, cette disposition introduit une dangereuse distorsion entre le fonctionnement des couvertures ainsi accordées par la police et la réalité juridique de la vie des sociétés. S’il y a contestation ou si la société décide de ne pas prendre en charge ces sommes conformément à ses statuts, l’assureur pourrait néanmoins appliquer ces franchises aumotif que l’entreprise serait tenue (légalement pour les USA et jurisprudentiellement pour la France) de le faire. L’enjeu est alors bien pire que de faire supporter une franchise, parfois libellée en millions d’euros, à une personne physique : il bloque la mise en jeu des garanties car l’assureur présumera, par sa stipulation, que l’entreprise prendra en charge ces sommes et attendra qu’elle effectue ces règlements pour ensuite la rembourser dans la limite des montants garantis déduction faite de la franchise. Dans la réalité, le dirigeant pourrait alors être privé d'indemnisation tant par sa société que par son assureur. Heureusement, d’autres assureurs prennent soins d’éviter de telles insécurités juridiques dans leur contrat et n’appliquent de toute façon aucune franchise hors des Etats-Unis ! 1 Cass. Soc. 18 octobre 2006, 04-48.612 2 Cass. Soc. 5 juillet 2017, 15-13.702 3 Cass. Soc. 7 novembre 2019, 17-31.337 4 Cass. Com. 20 mai 2003, 99-17.092 5 Trib. Corr. Seine 14 novembre 1958, D.1959.568 6 Cass. Crim. 28 novembre 1994, 94-80.524 et 94-81.818 7 Cass. Crim. 7 septembre 2022, 21-83.823 8 Cass. Crim. 6 juin 2007, Rev. Sociétés 2008. 151 LIBERTY SPECIALTY MARKETS ASSURANCE RESPONSABILITÉ DES DIRIGEANTS : PARLONS-NOUS EN TOUTE « FRANCHISE » ? Emmanuel Silvestre, Directeur Général adjoint LSME France Responsable de souscription Risques Financiers Europe

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