ATOUT RISK MANAGER N°31
ATOUT RISK MANAGER N°31 I HIVER 2021-2022 26 Dossier - Risque climatique : les Risk Managers veulent être mieux armés Isabelle Gout, Directrice Audit, Risques et Compliance de Labeyrie Fine Foods « J’ai commencé à m’intéresser au risque climatique récemment » Sous quel angle appréhendez-vous le risque climatique? En tant qu’entreprise en lien avec l’agriculture et l’élevage, Labeyrie est directement concernée et exposée aux risques naturels pour deux raisons : la plupart de nos sites se trouvent souvent en zone rurale et donc proche d’un écosystème naturel exposé au climat. Par ailleurs, notre activité consiste à transformer une matière provenant du monde du vivant (végétal, animal) et donc très fortement impactée par le changement climatique. Mais comme toute entreprise, nous sommes aussi un acteur soucieux du risque climatique. Depuis deux ans, notre équipe RSE travaille à l’amélioration de notre bilan carbone et de notre empreinte environnementale, avec des objectifs ambitieux qui se traduisent par des engagements et des projets opérationnels sur l’évolution des emballages, des routes de transport, des flux d’achats… Nos crevettes viennent par exemple d’Amérique du Sud ou d’Asie, les poissons (saumon, cabillaud, hareng…) proviennent de l’océan Atlantique Nord ou d’Alaska, la totalité de notre transformation se fait en France et en Écosse. Les changements climatiques peuvent donc affecter cette matière première vivante dans ses caractéristiques. Pourquoi ce risque vous semble-t-il difficile à gérer? Avec un milliard d’euros de chiffre d’affaires, nous sommes à la fois grands chez les petits mais petits chez les grands. Nous ne disposions pas de la même capacité de traitement que les grands groupes et clairement notre vision à date n’était pas encore mature sur le sujet. Toutefois nous avons initié cette année un groupe de travail conjoint «RSE – Risk Manager » pour établir une cartographie du risque climatique. Jusqu’à il y a un an, j’étais seule sur ma fonction et n’avais pas le temps de commencer cette réflexion. Je me concentrais sur les risques opérationnels classiques comme l’incendie ou le risque cyber. Forts du renforcement de l’équipe, nous sommes en train de revoir nos axes de priorité, notamment enmatière de responsabilité. Cela influe sur mon rôle de Risk Manager, qui s’ouvre notamment à l’analyse des risques liés à notre environnement. Des exemples de sinistres climatiques chez Labeyrie? En dix ans, nous avons eu deux sinistres de catastrophes naturelles. Un fort épisode de gel intense en février 2012 en Alsace qui amis à l’arrêt nos équipements techniques, pourtant couverts. En février 2013, un épisode neigeux intense et inhabituel à Fécamp a mis à mal la résistance de notre charpente et du système de sprinklage à des charges inhabituelles. Sans provoquer d’arrêt de l’activité, les travaux ont quand même perturbé nos zones de production pour gérer la co-activité et les intervenants extérieurs. Les tempêtes de 1999 et 2009 qui ont affecté le Sud-Ouest auraient pu faire de gros dégâts sur notre site de Saint-Geours-de-Maremne dans les Landes, où nous produisons saumons et canards. Cette alerte nous a depuis incités à couper de nombreux arbres jugés trop proches des bâtiments du site, et à en replanter plus loin. Avec qui travaillez-vous sur ces sujets? Pour ce qui est de notre impact sur le risque climatique, je collabore étroitement avec notre équipe RSE, qui est accompagnée par des cabinets de conseil spécialisés. Nous sommes en traind’établirnotrepremièrecartographie RSE, étroitement corrélée à la stratégie de l’entreprise. Je leur apporte la méthodologie, ils fournissent la matière. En ce qui concerne la protection de notre activité face au risque climatique, je suis en relation avec la Direction des Opérations, qui comprend la Direction industrielle, les Achats, la Qualité et la Supply-chain. Mais l’accompagnement de l’ingénieur prévention du programme d’assurance dommage aux biens est essentiel : les assureurs disposent de données statistiques sur l’exposition aux catastrophes naturelles utiles pour nos prises de décisions sur nos sites industriels. L’assurance paramétrique peut être une solution à étudier pour couvrir le risque de grippe aviaire qui affecte nos élevages IGP du Sud-Ouest, ce risque est directement lié à l’arrivée des oiseaux migrateurs, connus pour être des vecteurs de transmission. Les routes de passages des oiseaux migrateurs changent chaque année en fonction des températures, des masses d’air et donc… du climat. Dans notre métier, un épisode degrippe aviaire, cela signifiequatremois de vide sanitaire minimum et d’inertie. Nous avons d’ailleurs décidé d’acquérir en 2018 un site d’élevage et de transformation en Vendée pour mieux répartir notre risque. Quelles sont vos attentes en termes d’outils ou d’accompagnement? Honnêtement, je suis à la recherche de points d’appui. Je consulte les études publiées par les assureurs et les réassureurs sur le sujet et je récolte dès que je peux les témoignages d’autres Risk Managers dans l’agroalimentaire, mais aussi dans d’autres secteurs. Parfois, je consulte les rapports RSE de mes concurrents. Cependantl’information reste encore limitée. Il y a beaucoup de rapports très macros publiés par des organisations internationales travaillant sur le changement climatique, toutefois il est difficile de faire le lien avec notre activité. J’aimerais disposer d’une synthèse de ces études pour mon secteur d’activité, une sorted’étudede référence, qui mettrait en avant les avancées d ’ e n t r e p r i s e s l e a d e r s s u r l’agroalimentaire. Connaître les moyens que ces dernières ont mis en œuvre, leurs plans d’actions, ce qu’elles en ont retiré et leurs prochaines étapes serait d’une grande aide. Un cabinet indépendant pourrait faire cette synthèse. Avis aux amateurs.
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