ATOUT RISK MANAGER N°28

ATOUT RISK MANAGER N°28 I PRINTEMPS 2021 26 Dossier - La sagesse du risque pour l’immunité collective Propos recueillis par Nathalie Arensonas Interview du Général d’armée Pierre de Villiers « Il faut remettre l’humain au cœur de l’action» Avec la publication d’un troisième livre 1 depuis sa démission du poste de chef d’état-major des armées en juillet 2017, le général Pierre de Villiers qui préside une société de conseil en stratégie, pose un regard décapant sur les crises qui secouent la France. Atout Risk Manager : Covid, terrorisme, banlieues… Vous dites que le brouillard est épais. Pour éclaircir l’horizon, la décision politique gagnerait-elle à intégrer des techniques militaires de gestion des risques et des crises? Nous sommes en effet dans un brouillard de plus en plus épais, avec une superposition des crises : sanitaire, sécuritaire, économique et sociale (nous y étions déjà avant la Covid lorsque la France était paralysée par la contestation contre la réforme des retraites), crise d’autorité, crise politique dans nos démocraties occidentales, crise géostratégique dans un monde beaucoup plus instable... La formation militaire est très utile pour appréhender les crises. Elle est marquée par la culture du risque, puisque pour un militaire, le risque mal géré, c’est la mort. Les militaires sont responsables, sous l’autorité du pouvoir politique, de la protection du pays et des citoyens, et à ce titre, de la gestion des crises sur le terrain extérieur ou intérieur. Il nous faut analyser tous les risques et aujourd’hui, l’un d’entre eux - la déshumanisation avec le développement du télétravail - est majeur. La société masquée, la perte d’appartenance collective, l’individualisme augmenté et confiné, le « tout à l’ego», tout cela est préoccupant. Il faut remettre l’humain au cœur de l’action. Et au cœur de cette action, quel est le rôle des Millenials, les moins de 30 ans pris dans la tourmente économique de la crise sanitaire? Les jeunes sont ceux qui sont le plus touchés par la multiplicité des crises. Pas facile d’avoir 20 ans en 2020, a dit Emmanuel Macron, c’est clair… Mais a contrario, ils ont aussi soif d’engagement, d’idéal, de valeurs. Ils veulent servir de grandes causes : l’écologie, la solidarité… Ils s’inquiètent pour leur avenir, mais il y a, chez eux, un pendant positif : leur volonté de s’engager. Une source d’espérance pour notre pays. Tout commence par le rêve, il en faut pour faire bouger les lignes. Certaines entreprises ont mieux navigué que l’État dès le début de la crise sanitaire : ce dernier devrait-il s’inspirer de leurs techniques de gestion du risque? Un chapitre de mon livre est consacré à la valorisation des liens entre le public et le privé. J’ai passé 43 ans dans l’armée française, et je suis depuis bientôt quatre ans dans le monde civil et le monde des entreprises. Il est évident que ces dernières ont une agilité, une souplesse pour gérer la crise que la bureaucratie étatique gagnerait à avoir. Les bonnes entreprises cherchent à voir loin, à anticiper les risques et à bâtir un plan stratégique pour les maîtriser. Loin de la tactique du quotidien, elles élaborent des scénarios. Or, plus le brouillard de la crise est intense, plus nos dirigeants doivent savoir donner de la perspective. Avant d’avancer un pied, il faut toujours regarder si on ne risque pas de sauter sur une mine : cette approche des risques est oubliée aujourd’hui, c’est paradoxal, car ils n’ont jamais été aussi forts. Et l’on voit bien que dès que ça se tend, dès que le danger augmente, dès que la mort fait sa réapparition, on se tourne vers le militaire. C’est ainsi par exemple qu’est née l’opération «Sentinelle» après les attentats de 2015 pour protéger les Français, mais aussi pour leur apporter de la confiance. 1. L’équilibre est un courage. oct. 2020. Ed. Fayard.

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