ATOUT RISK MANAGER N°32

ATOUT RISK MANAGER N°32 I PRINTEMPS 2022 36 Dossier - Prenons les risques d’un nouvel élan Interview Monique Canto-Sperber, philosophe, spécialiste de la pensée morale et politique contemporaine «Les spécialistes du risque ont beaucoup de réticence à envisager les pires scénarios» Une philosophe chez les Risk Managers J’ai une affinité particulière avec les sujets qui sont abordés à l’AMRAE cette année et sur lesquels je travaille, puisqu’il y est question de risques politiques et sociaux. En tant que philosophe, je me fais un devoir de multiplier les occasions de discussion et de partage d’éléments d’analyse. La crise sanitaire conduit-elle à changer la conception du risque? Cette crise est un extraordinaire laboratoire : elle révèle les atouts et faiblesses de notre société, de notre État, et nous oriente vers une autre manière d’appréhender les risques. Nul n’aurait pu imaginer aux premiers mois de l’épidémie de la Covid‑19 que deux ans après, nous serions encore dans la crise : c’est une occasion d’apprentissage pour s’accoutumer à envisager tous les scénarios, y compris les pires, et dès le début. Ce que les spécialistes du risque ont toujours beaucoup de réticences à faire. La démonstration a été faite qu’il fallait toujours avoir ce type de scénario en réserve, si je puis dire, au cas où il faudrait l’actualiser. C’était aussi la première fois que l’on voyait en temps réel un risque majeur s’abattre sur toute la planète, avec une totale transparence dans la communication puisqu’après quelques semaines d’incertitudes, on savait tout ce qui se passait, partout, sauf en Chine et sans doute en Russie. Enfin, cette crise oblige à un travail de refonte conceptuelle : comment remédier à des risques majeurs, comment éviter les risques de faillites qui s’enchaînent ? On a assisté à une intervention massive des États. Mais pour autant, une véritable réflexion sur les risques d’envolée de l’inflation a-t-elle été envisagée ? Ici encore, cette crise nous donne des leçons : elle nous apprend beaucoup sur la gestion des risques car c’est la première fois que l’on a vu, à l’état pur, un mal s’abattre sur l’ensemble du monde. Les risques que nous affrontons (Covid‑19, péril climatique, tensions géopolitiques, cybercriminalité) menacent-ils nos démocraties? Devant des risques aussi massifs face auxquels il faut réagir très vite et imposer aux citoyens des mesures dont ils ne veulent pas, certains ont tendance à penser que les démocraties autoritaires sont plus efficaces. Cette croyance largement partagée (près de 40 % des citoyens français disent vouloir voter pour l’extrême-droite) est un risque politique sérieux, avant l’élection présidentielle, même si l’éventualité d’une «démocrature» n’est pas enterrée avec la présidentielle.

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