ATOUT RISK MANAGER N°18

DOSSIER GESTION DE CRISE : AVANT TOUT, UNE GESTION DU FACTEUR HUMAIN efficace et mature, la crise ne remontera pas car les personnes filtreront les informations. » Une posture de déni observée également par Emmanuelle Hervé (CEO du cabinet EH&A), consultante spécialisée en communication sensible qui a notamment travaillé pour le groupe Lactalis. « Chez Lactalis il existe un très bon processus de gestion du retrait produits mais très peu de préoccupation vers la communication externe. C'est à partir de la crise du prix du lait en 2016 que le Groupe a pris conscience de la nécessité d'expliquer aux journalistes la manière dont le prix du lait était fixé. C'est un sujet éminemment technique et compliqué, la décision de vulgariser a donc été murement pesée » . La posture initiale de déni qui explique l’absence de process de gestion de crise a engendré chez Lactalis un retard de compréhension de l'ampleur de la situation. « Quand le premier retrait a été imposé chez LNS [Lactalis Nutrition Santé, NDLR], il n'y a pas eu d'ouverture de cellule de crise et donc personne n'a pris la mesure des scénarios d'évolution défavorables. Ainsi Lactalis a constamment été en réaction de la crise LNS et n'a jamais pu travailler par anticipation, ce qui est cependant la principale fonction des processus de gestion de crise » . Emmanuelle Hervé rappelle ainsi qu’ « il est primordial que l'entreprise prenne conscience par sa tête (PDG, DG, Codir ou comité d'audit du CA) du besoin de s'armer en gestion de crise. En effet c'est un processus extrêmement transverse qui va obliger à mettre des noms en face des responsabilités. Quand nous mettons en place des cellules de crise en particulier pour de jeunes organisations (suite à un rachat par exemple), le projet est très structurant. » Trop de confiance Autre biais cognitif observé : l’excès de confiance qui peut également causer des ravages. Une crise étant un évènement très complexe qui implique beaucoup de parties prenantes, agir seul s’apparente à un acte kamikaze. Pour contrer ce biais, identifier les rôles de chacun et insister sur le fait que la gestion de crise nécessite une gestion collégiale (ressources internes et externes), le groupe Gemalto propose une «Carte des parties prenantes » . « Cette carte oblige à penser collectif » , pointe Sophie Mauclair qui, une fois la crise passée, propose un autre outil baptisé « Post Mortem » destiné à dresser le bilan de la crise et de sa gestion : quels étaient les facteurs déclencheurs ? Quelle en était TEMOIGNAGE EMMANUELLE HERVÉ CEO du cabinet EH&A spécialisé dans la gestion de crise et la communication sensible. Le cabinet EH&A a pour vocation d'accompagner les directions des établissements privés ou publics dans la gouvernance d'une crise déclarée. « La gestion de crise a migré vers la Sûreté dans les grands groupes » Comment les entreprises appréhendent-elles aujourd’hui la gestion de crise ? Depuis l’attentat du Bataclan, le sujet de la gestion de crise a – dans ce que je vois - migré vers la Direction de la sûreté dans les grands groupes. Cet évènement les a en effet poussés à se doter d’un dispositif de gestion de crises (cellule de crise) via leur Directeur de sûreté. Une problématique qui était auparavant entre les mains des directions de la Communication ou HSE. Définir ce qu’est une crise est-il complexe ? Ce qui relève d’une crise peut en effet différer d’un pays à un autre. Ainsi, un incident pourra être considéré comme une crise en France mais pas en Afrique ou en Asie car culturellement, ils n’ont pas la même vision des choses. Pour éviter ce biais, nous avons mis en place une application qui comprend une dizaine de questions à laquelle les entreprises répondent par oui ou non avec une pondération différente par question. À l’issue de cela, ils sauront si l’évènement nécessite ou non l’ouverture d’une cellule de crise. Selon vous, quel est ou quel devrait être le rôle du Risk Manager dans la gestion de crise ? Le pilotage des risques est un travail extrêmement complexe qui nécessite d’avoir le souci du détail pour cartographier et prioriser correctement. Le Risk Management part de scénarios et va jusqu’au plan de continuité d’activité. La gestion de crise est ce qui arrive après quand rien n’a fonctionné comme prévu et nécessite, selon moi, un traitement bien distinct par le top management et les directions impliquées. Comment cela se passe-t-il dans les PME/ETI ? Les entreprises de taille intermédiaire se considèrent souvent à l’abri d’une crise de par leur taille. Elles n’ont généralement pas de budget dédié pour le préventif. Nous travaillons souvent avec eux en crise à chaud et nous avons beaucoup de difficultés à les convaincre par la suite de mettre en place des dispositifs de prévention pour éviter que cela ne se reproduise ou, du moins, pour qu'ils apprennent à se défendre et avoir les premiers bons réflexes. Quels sont les principaux écueils à éviter en gestion de crise ? Ne pas se mettre en cellule de crise et opter pour une posture de déni face à une crise sont les deux principaux défauts que l’on observe souvent dans les entreprises, quelles que soient leurs tailles. 17 ATOUT RISK MANAGER, LA REVUE DES PROFESSIONNELS DU RISQUE ET DE L'ASSURANCE I N°18 I AUTOMNE 2018

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